Avec la récente acquisition de MusiMax et MusiquePlus par les propriétaires de la chaîne V, ceux-ci ont déjà commencé la réforme de ces chaînes qui sont, notons-le, les seules spécialisées musicales. Leur mandat musical, plus spécifiquement celui de MusiquePlus (M+), est intrinsèquement lié au statut de leur licence octroyée par le CRTC. Cependant, l’industrie de la musique n’est plus ce qu’elle était dans les années 90. MTV s’est converti en chaîne de téléréalité, MuchMusic en chaîne de divertissement pour ados (une espèce de YTV no. 2) et BET vient de mettre fin à son unique émission musicale (106 & Park). Si tous les joueurs importants de la télévision musicale en Amérique du Nord ont délaissé la musique, pas étonnant que M+ suit le même pas. Les artistes sortent les premiers perdants de cette situation certes mais la question reste la même : quelle est la pertinence d’une chaîne spécialisée qui diffusent des vidéo clips alors que nous sommes à l’ère de YouTube et Facebook ?

Premièrement, prenons le temps de revenir à l’historique même de l’existence des deux types de catégorie de chaînes numériques créées par le CRTC au début des années 2000. Les catégories A et B (anciennement surnommées catégories 1 et 2). Depuis 2004 quinze chaînes numériques francophones (de type commercial) ont été lancés : sept par TVA (LCN Argent, Addik, Prise 2, Casa, Yoopa, TVA Sports et Moi&Cie), deux par Astral (Télétoon Rétro et Disney Junior), trois par Bell Media (RDS INFO, RDS2 et Investigation), un par Radio-Canada (Explora), un par le Groupe Serdy (Zeste TV) et un dernier par Sex-Shop Television Inc. (Vanessa). Toutes ces chaînes spécialisées dans divers créneaux ont su trouver leur niche. Cependant aucune d’entre elle n’a pu combler un besoin tout aussi important que celui des amateurs de sports ou de rénovation : celui des communautés culturelles qui cherchent à se reconnaître dans la télévision francophone (québécoise ou canadienne). En 1996, la population québécoise ethnoculturelle comptait déjà plus de 600 000 personnes, aujourd’hui elle dépasse le million d’habitants. Tandis que l’offre télévisuelle francophone québécoise n’a aucunement tenu compte de cette tendance démographique. Nonobstant l’existence d’une chaîne multiethnique (ICI) ayant repris le flambeau de la défunte chaîne CJNT.

Il y a six ans, CLOVYS TV (une chaîne spécialisée voulant éviter l’étiquette d’une chaîne communautaire ethnique qui ne ferait qu’accentuer la ghettoïsation de son public cible) a pu prouver au CRTC qu’il ne serait aucunement en concurrence directe avec les chaînes spécialisées MusiquePlus et musimax. Raison pour laquelle une licence de catégorie B lui avait été accordée. Mais malgré l’intention louable de créer une chaîne innovante pour une clientèle urbaine mal desservie, une importante problématique a contrecarré cette belle initiative : le pouvoir des conglomérats qui sont à la fois distributeurs et propriétaires de chaînes spécialisées. Ces grandes entreprises verticales ont le pouvoir de décider quelles chaînes sont distribuées, tout en lançant leurs propres projets. Un environnement malsain dans lequel une chaîne indépendante de catégorie B a très peu de chance d’être distribuée. Un conglomérat X va ainsi privilégier le lancement de ses propres nouvelles chaînes ou celles appartenant à un autre conglomérat Y qui lui assure un retour d’ascenseur. Ces conglomérats représentent 91% de tous les abonnés à un service de télévision (par câble ou satellite) au Canada. Comme un câblodistributeur ou service par satellite n’a pas l’obligation de distribuer une chaîne spécialisée de catégorie B, cela explique pourquoi plusieurs dizaines de licences accordées par le CRTC n’ont jamais pu se rendre jusqu’à la mise en ondes.

LES NOUVEAUX MÉDIAS
Un autre facteur important sur lequel il faut se pencher : l’impact de l’internet sur l’industrie musicale depuis le début des années 2000. Une métamorphose ayant presque totalement fait disparaitre le CD qui fut un temps le standard de l’industrie en tant qu’outil de vente de la musique. La dématérialisation de la distribution musicale n’était que la première étape de cette transformation à laquelle les artistes s’adaptèrent plus rapidement que les maisons de disques. La diffusion des vidéoclips fut longtemps le monopole des chaînes spécialisées musicales, ce n’était qu’une question de temps avant qu’une plateforme comme YouTube vienne changer la donne. Bien que cette évolution du marché fût prévisible, les chaînes musicales ont été lentes à s’adapter. La seule initiative qui a tenu compte de ce changement fut la création des chaînes MuchVibe et MuchLoud. Cependant leurs propriétaires négligèrent l’aspect innovation dans leur programmation en mettant l’accent uniquement sur la diffusion de clips sans aucun concept de présentation. Résultat : ces deux stations qui connurent un bon départ virent leurs cotes d’écoute s’évaporer avec leurs revenus publicitaires, année après année, en plus de perdre plusieurs milliers d’abonnés.

Pourtant le clip n’a jamais été un élément aussi important qu’aujourd’hui pour qu’un artiste (émergeant ou reconnu) puisse promouvoir sa musique. Il y a 20 ans, la radio et la presse écrite faisaient connaître un artiste sans même que celui-ci ait encore un vidéo clip de diffusé à la télé. Aujourd’hui, avec les journaux culturels qui ont fermé leurs portes (ICI, MIRROR, HOUR, etc.) à cause du déplacement des dépenses publicitaires vers l’internet, puis les radios (appartenant majoritairement à des conglomérats) qui ne diffusent que la musique populaire des palmarès TOP-40, la télévision est devenue le medium de prédilection pour que des nouveaux talents se fassent découvrir. Elle est de ce fait devenu incontournable pour des artistes établis voulant promouvoir leur nouveau matériel. Les téléréalités le prouvent : American Idols, Star Académie, The Voice (La Voix: au Québec), X-Factor, So you think you can dance, America’s got talent, America’s Best Dance Crew, etc. Multitudes de concepts d’émissions musicales dans lesquelles se côtoient artistes reconnus et nouveaux talents ayant tous le même but : atteindre un large auditoire.

Les conglomérats, ne sachant pas comment adapter la programmation d’une chaîne musicale à la réalité d’aujourd’hui qui est radicalement différente de celle des années 80 et 90, arrivèrent tous à cette conclusion: diffuser des clips n’est plus pertinent car le public peut les visionner sur internet. Alors années après années ils diminuèrent le pourcentage de diffusion des clips. Décision qui n’a pas freiné pour autant l’érosion de leurs cotes d’écoute et leurs revenus publicitaires. Le problème se trouvait donc ailleurs : le manque d’innovation. Ils n’ont pu incorporer efficacement les médias sociaux et les nouvelles plateformes de diffusion à l’intérieur de leur stratégie de programmation. Tandis que parmi les tranches d’âges de la population, les 14-25 ans sont les plus grands consommateurs de musique. Une génération de téléspectateurs que les conglomérats ont peine et misère à rejoindre, et qui pourtant est la clientèle la plus à l’affût des nouvelles technologies de communication.

LE DÉBUT DE LA FIN…
Finalement y a t-il une solution? Économiquement, peut-être. Mais elle est très complexe. Une chaîne musicale ne peut plus être financièrement viable ”as a stand alone business” comme disent les anglophones. En d’autres termes, ce serait à l’intérieur d’un écosystème d’activités commerciales convergentes qu’elle serait rentable. La solution la plus simple serait donc politique. La promotion de la musique des artistes locaux a un grand besoin d’un média télé officiel. Les différents paliers de gouvernements financent des programmes de support aux chanteurs et musiciens (SODEC, Musicaction, Conseil des arts, etc.) mais qui finalement se retrouvent à mettre sur le marché des albums qui n’ont plus de visibilité nécessaire pour atteindre au minimum leur public cible. La télévision reste encore le médium le plus influent (avec la radio), pour la découverte de nouveaux artistes. Bien qu’aujourd’hui les ondes commerciales FM ne diffusent que les palmarès Top-40, mais ceci est un autre sujet de discussion… Alors assistons-nous à la fin de l’industrie musicale comme nous l’avons toujours connu? Si oui, à quoi ressemblera sa nouvelle mouture qui semble déjà commencer à prendre forme avec les I-tunes, Spotify et Rhapsody de ce monde?

Jean-Yves Roux